Interview

Me Simon Mutoka: «Le Conseil d’Etat est incompétent pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux»

Avocat au Barreau de Kinshasa-Matete, Simon Mutoka Mushimbwa a, dans un  entretien avec la rédaction d’«AfricaNews», donné son point de vue sur la compétence de la juridiction à proclamer les résultats définitifs pour l’élection des députés provinciaux. «La compétence est d’attribution», a signifié ce natif de Kasika dans le territoire de Mwenga, dans la province du Sud-Kivu, rappelant que la Loi donne à la Cour constitutionnelle la compétence de proclamer les résultats définitifs à l’élection présidentielle et aux élections législatives nationales. «C’est les articles 72 et 74 de la loi dite électorale», a-t-il fait savoir. Pour lui, la même loi, aux mêmes articles, donne la compétence à la Cour administrative d’appel, actuellement la Cour d’appel, pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux. «Il faut bien vite insister que cette compétence lui est dévolue uniquement dans deux hypothèses, dans lesquelles il n’y a pas de contraction entre sa liste et celle proclamée provisoire par la Commission électorale nationale indépendante», a expliqué Me Simon Mutoka, qui totalise aujourd’hui 16 ans de carrière d’avocat. La Cour d’appel ne peut, a-t-il expliqué, publier les résultats définitifs à l’élection de députation provinciale que lorsque ses résultats et ceux de la CENI sont identiques. Entretien.

Monsieur Simon Mutoka, vous êtes avocat au Barreau de Kinshasa-Matete. D’après vous qui a compétence pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux?
La compétence est d’attribution. La Loi donne à la Cour constitutionnelle la compétence de proclamer les résultats définitifs à l’élection présidentielle et aux élections législatives nationales. C’est les articles 72 et 74 de la loi dite électorale. La même loi, aux mêmes articles, donne la compétence à la Cour administrative d’appel, actuellement la Cour d’appel, pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux. Il faut bien vite insister que cette compétence lui est dévolue uniquement dans deux hypothèses, hypothèses dans lesquelles il n’y a pas de contraction entre sa liste et celle proclamée provisoire par la Commission électorale nationale indépendante -CENI. La première hypothèse de sa compétence est à l’article 72. L’hypothèse où, à l’expiration du délai d’exercice de voie de recours auprès d’elle, il n’y a aucun recours contre les résultats provisoires de la CENI. En ce premier cas de compétence, elle proclame la liste définitive dans les huit jours qui suivent l’expiration du délai de recours. Il est bien entendu que sa liste définitive sera la même que celle de la CENI, car il n’y a eu aucun recours auprès d’elle. La deuxième hypothèse de sa compétence pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux est à l’article 74 de la loi dite électorale. C’est dans le cas de figure où il y a eu des recours contre les résultats de la CENI, introduits auprès d’elle dans le délai et qu’après examen tous ces recours sont soit irrecevables, soit non fondés. En ce cas aussi, la Cour d’appel proclame la liste définitive des députés provinciaux. Il est bien entendu que sa liste définitive dans ce deuxième cas d’hypothèse sera la même que celle de la CENI, car tous les recours reçus sont soit irrecevable, soit non fondés. Un détail important, c’est que, selon le législateur, lorsque la Cour d’appel proclame la liste définitive des députés, il ne peut y avoir des différences entre sa liste et celle publiée par la CENI. C’est dans ce cas seulement que la Cour administratif d’appel a la compétence pour ce faire selon les deux hypothèses des articles 72 et 74.

Vous dites que la Cour d’appel n’a pas la compétence de proclamer les résultats définitifs différents de ce que la CENI a publié…
Exactement, c’est ce que tout juriste utile doit lire de la loi. Telle ressort de la volonté du législateur aux dispositions combinées des articles 72,74 et 74 quinquies de la loi dite électorale.

Quelle est la valeur de l’Arrêt de la Cour d’appel qui publierait sa liste définitive différente de celle de la CENI?
Vous avez la réponse. C’est un arrêt annulable en appel au Conseil d’Etat. Le législateur ne lui a pas donné cette compétence dans tous ces deux cas de figure de compétence à cet effet. La Cour d’appel ne peut publier les résultats définitifs à l’élection de députation provinciale que lorsque ses résultats et ceux de la CENI sont identiques. Les hypothèses de cas de figure vous ont été données aux articles 72 et 74 précités.

Pouvez-vous nous dire mieux. Est-ce que parallèlement à la Cour constitutionnelle, le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour proclamer les résultats définitifs pour les élections de députation provinciale, car le Conseil connait les appels contre les Arrêts de la Cour administratif d’appel -actuellement la Cour d’appel?
Au risque de me répéter, le Conseil d’Etat est incompétent pour proclamer la liste définitive des députés provinciaux. Il n’existe dans tout l’ordonnancement juridique RD-congolais, nulle part où cette compétence lui est attribuée. Le Conseil d’Etat connaît en appel les Arrêts de la Cour administratif d’appel rendus au premier degré sur fond de la Constitution qui lui donne cette compétence à l’article 155 et la Loi sur les juridictions de l’ordre administratif à l’article 86. Ne donnez pas au Conseil d’Etat, les compétences que le législateur ne lui a pas données. Je suis heureux que le premier président du Conseil d’Etat soit le Professeur Félix Vunduawe Kopemate. C’est de lui que j’ai appris toute ma substance de Droit sur les compétences.

Vous avez dit que la publication de la liste définitive des députés provinciaux est une compétence dévolue à la Cour d’Appel à condition qu’il n’y ait aucun recours auprès de cette Cour contestant les résultats de la CENI introduit dans le délai et si introduits dans les délais, ces recours après examen sont tous déclarés irrecevables ou non fondés. Pouvons-nous dire avec forces que si un recours est introduit devant la Cour, cette compétence tombe?
Encore faut-il que la Cour déclare certains de recours recevables et fondés. Je veux être claire à ce niveau. Ce n’est pas Maitre Simon Mutoka qui le crée. C’est le législateur qui le veut ainsi dans sa volonté. Il suffit d’un recours dans le délai introduit contre les résultats à la députation provinciale et alors la Cour n’a plus de compétence pour proclamer les résultats définitifs à la députation provinciale dans les huit jours qui suivent l’expiration du délai de recours. En outre, il suffit qu’un de ces recours soit déclarés recevable et fondé après examen pendant cette durée de deux mois et la Cour perd définitivement cette compétence. Pourquoi en est-il ainsi? Parce qu’au vu de l’article 74 quinquies de la loi dite électorale, les voies de recours sont ouvertes et la juridiction de la Cour administrative d’appel est dessaisie du dossier.

Mais le même article dit cela de la Cour constitutionnelle et pourtant la Cour constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs aux élections législatives nationales, en publiant une liste autre que celle de la CENI…
C’est parce que le législateur l’a voulu ainsi. Après avoir dit cela aux articles 72 et 74 de la loi dite électorale, il vient affirmer à l’article 74 quinquies de la même loi que les Arrêts de la Cours constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours, hormis la rectification des erreurs matérielles, une voie de recours qui ne dessaisie pas la Cour du dossier. Vu que l’Arrêt de la Cour constitutionnelle n’est susceptible d’aucun recours dévolu à une juridiction différente d’elle. C’est elle qui est l’ «Omega» en cette matière. Et c’est la loi qui le dit. Certaines prévisions de l’article 72 et 74 de la loi dite électorale lui sont inopérantes lorsqu’elles se combinent aux dispositions de l’article 74 quinquies de la même loi. La Cour constitutionnelle peut publier une liste définitive des députés nationaux autre que celle publiée par la CENI et c’est dans ses compétences, et c’est du bon droit à lire la volonté du législateur. Je voudrais vraiment être compris. Le Conseil d’Etat est incompétent pour publier la liste définitive des députés provinciaux du pays ou d’une province. Il n’a pas cette compétence en droit. La Cour d’appel actuellement est compétente pour publier la liste définitive des députés provinciaux uniquement en ce qu’il y a identité entre sa liste et celle publiée provisoirement par la CENI. Cela se lit des articles 72 et 74 de la loi dite électorale. En effet, si seulement certains recours introduits auprès d’elle dans le délai, sont déclarés recevables et fondés, les voies de recours sont ouvertes et elle est dessaisie du dossier. Le législateur n’a pas prévu que ce dossier lui retourne pour en avoir encore le contrôle. Il faut dire que le législateur a prévu beaucoup de recours et il n’a excepté aucun face à cette décision de la Cour administratif d’appel sur le contentieux électoral. A l’article 74 quinquies le législateur dit, «elle est susceptible de recours» et les voies de recours en droit sont: opposition, tierce opposition, requête civile, révision, cassation, rectification des erreurs matérielles et l’interprétation, appel et même la prise à partie.

Une question de curiosité! Et si la Cour d’appel, le Conseil d’Etat faisait le contraire?
Oh! Je ne le crois pas. Ce sont des juristes distingués qui siègent ici. Dans l’impossible, un tel Arrêt de la liste définitive du Conseil d’Etat sur les députés provinciaux nous place dans l’hypothèse de l’article 161 de la Constitution. Les avocats des partis et regroupements politiques pourront aller en appel contre cet Arrêt à la Cour constitutionnelle. Les partis et regroupements politiques ayant présenté des candidats députés provinciaux, puisque l’audience est publique et que son extrait de rôle doit être affiché, seront dans la salle pour soulever ce déclinatoire de compétence de juridiction face à ce cas. Ce qui ouvre la voie d’appel contre cet Arrêt à la Cour constitutionnelle. Et pour le cas de la Cour d’appel, ce sera un arrêt qui n’échappe pas aux voies de recours devant les juridictions compétentes tel que prévu à l’article 74 quinquies de notre loi électorale. Dans tous les cas, les juges peuvent être pris à partie. Il s’agira alors ici d’une violation grossière de la loi de compétence qui est équivalente au dol.

Maitre vous me surprenez. Je ne savais pas que les Arrêts du Conseil d’Etat peuvent être frappés d’appel…
Et même ceux de la Cour de cassation. Uniquement dans l’hypothèse de droit prévue à l’article 161 de notre Constitution.

Merci, Maitre!
C’est moi qui vous remercie de m’avoir accordé cet espace d’expression.

Propos recueillis par Tino MABADA

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