Problématique
Dans ma 8ème tribune intitulée: «RDC, un royaume d’aveugles conduit par des borgnes», publiée le 21 septembre 2015 –Editions l’Harmattan, Paris 2016–, je stigmatisais la faiblesse des partis politiques dont il était difficile de témoigner de leur existence réelle du point de vue de leur taille électorale, de leur légitimité, de leurs idéologies ou de leur ancrage dans le peuple.
En introduisant le sujet, je notais d’emblée: «Dans les démocraties modernes, le succès des Etats et des économies, dans leur processus de construction et de développement, est fonction de la force et de la solidité historique et idéologique des partis politiques qui les conduisent et s’alternent à leur tête».
Pour les mêmes raisons, je plaidais également en faveur des révisions de textes légaux en vue d’aboutir, entre autres, à la matérialisation des regroupements et des financements des partis politiques à de conditions strictes, de manière à les épargner de la précarité et de leur subordination vis-à-vis des dirigeants au pouvoir et de leurs cadres ou mandataires envoyés dans les institutions, qui généralement les soumettent à leurs intérêts conjoncturels.
Je me réjouis de la dernière révision de la loi électorale qui va dans le sens d’encourager le regroupement des partis politiques, grâce à la notion du «seuil».
Cependant, je constate, et cela a été dénoncé par mon parti à travers le message de son chef, le Patriarche Antoine Gizenga, que la majorité actuellement au pouvoir a augmenté la caution électorale à charge des partis politiques, au profit du Trésor public, à un niveau prohibitif, sans en perspective, envisager la volonté de rendre effectif le financement public desdits partis politiques.
Ma réflexion de ce jour concerne justement la loi n°08/005 du 10 juin 2008 portant financement public des partis politiques, loi restée lettre morte pendant le dernier quinquennat –2012-2016– pendant lequel elle devait connaître sa première application. Personne n’en parle, ni le législateur, ni l’exécutif, moins encore le citoyen.
Cette loi est en cohérence avec l’article 6 de la Constitution en dotant les partis politiques des moyens pour atteindre les objectifs leur définis dans cette même Constitution.
Elle constitue pour le bon fonctionnement de la jeune démocratie RD–congolaise, avec la loi électorale, un des piliers. En effet, elle demande au gouvernement de donner aux partis politiques des moyens pour la campagne électorale et pour leur fonctionnement.
Ces deux lois, la loi électorale et celle relative au financement public des partis politiques, ne se contredisent pas. Au contraire elles se complètent.
Suivant son article 28, cette dernière devait entrer en vigueur à partir de la législature 2012-2016.
Exposé des motifs
Dans l’exposé des motifs, la loi relative au financement public des partis politiques donne les motivations, ci-après:
- Stabiliser et consolider la démocratie pluraliste par le renforcement préalable de la capacité d’action des partis politiques;
- Assurer une plus grande indépendance des partis politiques;
- Garantir l’égalité des chances entre tous les partis politiques représentés aux assemblées délibérantes par un mode de calcul simple qui repose sur le nombre de leurs élus respectifs. Le mode de calcul des crédits à allouer se fait selon un coefficient de pondération variant de l’Assemblée nationale et du Sénat aux organes délibérants locaux;
- Contribuer à la moralisation de l’activité politique par une plus grande transparence;
- Promouvoir la vertu de l’égalité de traitement;
- Doter les partis politiques d’un minimum de moyens pour le financement de leurs activités politiques.
Les statistiques que je vous donne ci-après devraient faire prendre conscience à l’opinion, aux militants et cadres des partis politiques, de l’ampleur des enjeux et du devoir de l’Etat de remplir les obligations qui sont les siennes pour les objectifs ci-dessus énumérés.
En vous donnant ces statistiques, je voudrais confirmer avec le Patriarche Antoine Gizenga, que la loi électorale a érigé une discrimination fondée sur l’argent, alors que le pouvoir d’achat des congolais ne fait que se dégrader au jour le jour. Nous sommes donc en face d’un scrutin censitaire, qui en contre partie n’assure pas l’application de la loi relative au financement public des partis politiques.
Pour preuve, je vous présente ci-après les statistiques des élus et leurs cautions –Tableau n°1, n°2 et n°3–:
Tableau n°1: Statistiques des élus –Président de la République, |
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Députés nationaux et provinciaux, Sénateurs et Gouverneurs– et leurs cautions | |||||||||
N° | ORGANE | NBRE | CAUTIONS ($) | ||||||
Unité | Total | ||||||||
1 | Président de la République | 1 | 100 000 | 100 000 | |||||
2 | Assemblée nationale : Députés nationaux | 500 | 1 000 | 500 000 | |||||
3 | Sénat : Sénateurs | 108 | 1 000 | 108 000 | |||||
4 | Assemblée provinciale(1) : Députés provinciaux | 780 | 600 | 468 000 | |||||
5 | Gouverneurs (2) : Titulaire | 26 | 6 000 | 156 000 | |||||
Total élus et cautions | 1415 | 1 332 000 | |||||||
(1): 780 Députés provinciaux à raison d’une moyenne de 30 Députés | |||||||||
par province sur les 26 | |||||||||
(2): Vice-gouverneur non repris parce que colistier non tenu à l’obligation de payer la caution | |||||||||
Tableau n°2: Statistiques des élus locaux –Conseillers urbains, Maires, | |||||||||
Conseillers communaux, Bourgmestres, Conseillers de secteurs, Chefs de secteurs– et leurs cautions |
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N° | ORGANE | Nbre | CAUTIONS ($) | ||||||
Unité | Total | ||||||||
1 | Conseillers urbains | 960 | 320 | 307 200 | |||||
2 | Maires | 96 | 1 600 | 153 600 | |||||
3 | Conseillers communaux | 6040 | 220 | 1 328 800 | |||||
4 | Bourgmestres | 604 | 470 | 283 880 | |||||
5 | Conseillers des secteurs | 5976 | 100 | 597 600 | |||||
6 | Chefs de secteur | 747 | 300 | 224 100 | |||||
Total élus et cautions | 14423 | 2 895 180 | |||||||
Tableau n°3: Tableau (1) + Tableau (2) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
N° | ORGANE | Nbre | CAUTIONS ($) | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Total | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
1 | Tableau (1) | 1415 | 1 332 000 |
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2 | Tableau (2) | 14423 | 2 895 180 |
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Total élus et cautions (*) | 15838 | 4 227 180 |
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Le total des montants de la caution, soit USD 4.227.180, est énorme et n’est à la portée d’aucun parti politique RD–congolais par ses propres finances.
A ce montant exorbitant s’ajoutent des frais de campagne –voyages, meetings, rassemblements et autres rencontres– qu’il faut évaluer à plus ou moins USD 5.000 par candidat, soit USD 5.000 x15.838 = USD 79.190.000 pour chaque parti politique ayant l’ambition de se présenter à tous les échelons du pouvoir.
Le financement de l’Etat tel que prévu par la loi y relative au profit des partis politiques votée en 2008 par la majorité dirigée par le Patriarche Antoine Gizenga à la tête du gouvernement, a été promulguée par le Président de la République le 10 juin 2008.
Cette Loi trouve son fondement juridique dans l’article 6 de la Constitution qui dispose, d’une part, que les partis politiques concourent à l’expression du suffrage, au renforcement de la conscience nationale et à l’éducation civique et, d’autre part, que les partis politiques peuvent recevoir de l’Etat des fonds publics destinés à financer leurs campagnes électorales ou leurs activités, dans les conditions définies par la Loi.
Dans tous les cas, le financement dont question n’est que subsidiaire, en ce sens qu’il ne vient qu’en appui aux ressources propres des partis politiques et, partant, ne peut être source d’enrichissement personnel.
Le financement public est constitué des fonds prévus aux crédits budgétaires de l’Etat. Il concerne aussi bien les dépenses couvrant les activités permanentes des partis politiques que celles consacrées à l’organisation des campagnes électorales.
Le montant de la subvention à inscrire chaque année dans la Loi des finances pour contribuer aux dépenses de fonctionnement des partis politiques ne peut être ni inférieur à 0,5% ni supérieur à 1% de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’Etat. Et, d’autre part, la participation de l’Etat au financement des campagnes électorales à inscrire dans la Loi de finances de l’année qui suit l’organisation de chaque consultation électorale est fixée à 2% des recettes visées ci-dessus. –Articles 5 et 9.
Dans la huitième tribune déjà citée, j’avais présenté cette question et je formulais les suggestions de changement des textes, ci-après sur:
- les partis et les regroupements politiques dans le sens du renforcement des dispositions relatives aux conditions de leur création, de leur autorisation, de leur fonctionnement et de leur financement;
- le mode de scrutin en vue de passer du scrutin proportionnel, qui contribue à l’émiettement, au scrutin majoritaire;
- la disposition relative au tour unique pour le scrutin présidentiel, lequel ne favorise pas l’expression démocratique au premier tour et le regroupement au second;
- la matérialisation des financements des partis ou regroupements politiques à de conditions strictes, de manière à les épargner de la précarité et de leur subordination vis-à-vis de leurs cadres ou mandataires au pouvoir, qui les soumettent à leurs intérêts conjoncturels.
J’interpellais les dirigeants des partis politiques comme suit:
- Travailler à doter leurs partis des identités politiques, idéologiques ainsi que des projets de société et des programmes sur lesquels ils devront communiquer en direction du peuple en général et de leurs militants et sympathisants en particulier;
- Former et encadrer leurs militants et sympathisants;
- Organiser leurs partis en les dotant d’un leadership clair et clairvoyant;
- Signer des alliances sur base des principes, des valeurs portées par des programmes gouvernementaux ou électoraux, d’idéologies et non pas sur base de l’appétit du pouvoir;
- Encourager les cotisations des militants, pour la survie, le fonctionnement et le développement du parti;
- Tordre le coup au concept d’autorité morale qui n’est pas de nature à garantir les principes de responsabilité et le devoir de recevabilité;
- Permettre aux partis politiques de devenir des instruments d’édification de la conscience nationale et de répondre au défi du changement de mentalité des RD–Congolais reconnu par le Président de la République.
Modalités et conditions d’éligibilité au financement public
L’éligibilité à ce financement est soumise à un certain nombre de conditions –Article 3–, notamment: être représenté au moins à une des assemblées délibérantes et introduire une demande écrite à la Commission institutionnelle prévue dans la présente Loi.
Le financement public est organisé de manière à:
- stabiliser et consolider la démocratie pluraliste par le renforcement préalable de la capacité d’action des partis politiques;
- assurer une plus grande indépendance des partis politiques.
La subvention est allouée aux partis politiques représentés au moins à une des assemblées délibérantes, proportionnellement au nombre de leurs élus.
Les assemblées délibérantes visées à l’alinéa précédent sont –Article 7–:
- l’Assemblée nationale;
- le Sénat;
- l’Assemblée provinciale;
- le Conseil urbain;
- le Conseil municipal;
- le Conseil de secteur ou de chefferie.
Les listes des élus par parti politique sont fournies par les bureaux respectifs de ces assemblées.
L’Etat participe à posteriori au financement des campagnes électorales des partis politiques.
En effet, le montant de la participation de l’Etat est inscrit dans la Loi de finances de l’année qui suit l’organisation de chaque consultation. Il est fixé à 2% de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’Etat –Article 9.
Les fonds publics destinés au financement des campagnes électorales sont répartis entre les partis politiques conformément à l’article 7 de ladite Loi.
Les subventions allouées aux partis politiques à des fins de fonctionnement ou de campagnes électorales sont fixées et mises à leur disposition par une Commission interinstitutionnelle.
Coût du financement public au profit des partis politiques
A titre illustratif, voici ce qu’aurait représenté pour l’Etat pendant le quinquennat 2012-2016, le coût de financement public au profit des 25 –hypothèse– partis politiques éligibles à celui-ci.
- Coût du financement public au fonctionnement de ces 25 partis politiques entre 2012-2016:
- Budget des recettes de l’Etat pour les exercices du quinquennat 2012-2016: USD 5.000.000.000 par an
- Quotité annuelle au profit des partis politiques à inscrire au budget: 1% USD 5.000.000.000, soit USD 50.000.000
- Partis politiques éligibles –25: hypothèse–:
USD 50.000.000 divisés par 25 = USD 2.000.000 par an –moyenne– par parti politique
Pour les 5 années du quinquennat par parti politique: USD 2.000.000 x 5 = USD 10.000.000
- Coût de remboursement des frais de compagne des partis politiques en 2011 au budget 2012:
- Budget recettes 2012 : USD 4.000.000.000
- Montant: 2% de USD 4.000.000.000: USD 80.000.000
- Remboursement aux 25 partis politiques éligibles –hypothèse– dont les 4 candidats ayant franchi le seuil de 5%–: USD 80.000.000 divisés par 25 = USD 3.200.000 par parti politique, comme frais de remboursement de la campagne à justifier sur pièces comptables des partis politiques.
Conclusion
Le financement des élections et du fonctionnement des partis politiques en RD–Congo serait un gain à la vie politique du pays.
Ce financement répond aux exigences de la Constitution qui voudrait donner l’égalité de chance à tous les partis y compris ceux au pouvoir afin que ces derniers ne soient pas les seuls à disposer des moyens financiers pour leur fonctionnement.
Un autre avantage du financement public des partis politiques est la fin du débauchage tant décrié de la part de ceux qui gèrent les deniers publics pour déstabiliser ceux de l’Opposition dépourvus des ressources.
Troisièmement, ce financement donne aux partis politiques le pouvoir d’affirmer leur autorité face aux mandataires et aux membres de l’Exécutif et d’assumer leur rôle dirigeant. C’est à ce seul prix que le Congo deviendra grand parce qu’animé par de grands partis politiques, stables et viables.
C’est une voie qui conduit à la construction de la cohésion nationale dont dépendent les grands partis et dont peut se prévaloir aussi le Chef de l’Etat.
Par ailleurs, la gestion des subventions allouées aux partis politiques obéit aux règles de la comptabilité publique et soumise au contrôle de la Cour des comptes –Article 16.
La loi a établi les procédures d’allocation de contrôle et des sanctions.
Le paradoxe aujourd’hui est que la Majorité présidentielle, a refusé de subventionner les partis politiques, au quinquennat 2012-2016 et de rembourser aux candidats présidents de la République –Kabila, Tshisekedi, Kamerhe, Kengo,… – et aux partis politiques, au courant du quinquennat qui vient de s’achever, les frais engagés par eux. Mais au contraire elle veut leur enlever le peu de ressources venant des cotisations et des dons de leurs militants en leur exigeant une caution de près de USD 5 millions, leur enlevant ainsi les petites ressources qui leur auraient permis de financer la campagne de prochaines élections de décembre 2018.Dans cette perspective, le pays passerait de 800 partis politiques à un seul.
Pour éviter le conflit en l’air, en perspective des élections à venir, une conciliation des comptes s’impose afin de mieux savoir: Qui doit a qui et combien?
Fait à Kinshasa, le 31 janvier 2018
Adolphe MUZITO
Député national et Premier ministre