Culture

Luambo Makiadi, 30 ans déjà!

Voilà 30 ans que l’artiste musicien L’Okanga La Ndjo Pene Luambo Luanzo Makiadi, Franco de mi amor, a tiré sa révérence aux cliniques de l’Université catholique de Louvain à Mont Godinne, en Belgique. Président-fondateur du TP OK Jazz, président de l’AS Vita club, Directeur général de la Mazadis, éditeur du Journal des vedettes YE, promoteur de Visa-80, son passage à la tête de toutes ces structures a été marqué de son empreinte indélébile. Ceux qui l’ont côtoyé et percé sa carapace, gardent de lui des souvenirs divers d’un leader, d’un homme sensible, altruiste, généreux, affable, sociable, ouvert aux critiques constructives, réfléchi, bosseur, taquin par-dessus le marché, bon vivant…

Ses œuvres ont traversé plusieurs décennies sans attraper une quelconque ride susceptible de les précipiter dans la chemise des oubliettes. Elles continuent d’agrémenter les manifestations officielles, familiales ou mondaines et font l’objet de recherches visant à en dégager les richesses inestimables qu’elles renferment.

Un vide nullement comblé à ce jour

Rares sont les artistes musiciens qui osent, comme l’a si bien fait Franco, passer au scanner la vie sociétale RD-congolaise avec une telle rigueur au point de cracher des vérités difficiles à supporter tant par les autorités du pays que par le commun des mortels. Dans l’opinion nationale, le vide créé par la disparition de ce virtuose de la guitare est loin d’être comblé à ce jour. Autant cet artiste engagé, avec son franc-parler propre aux «Bana Léo», s’attaquait de front aux grands maux qui rongent la société dans tous ses compartiments en les balançant à la face de tous, sans mettre des gants, autant la démarche de ses successeurs semble plombée par l’absence d’audace, voire la peur, privant ainsi la société d’un porte-voix capable de dénoncer et combattre vigoureusement les antivaleurs. Avec le recul du temps, il apparait nettement que les artistes de la trempe de Luambo Makiadi ne courent plus les rues. En reconnaissance aux services rendus à la nation, la patrie lui a réservé des obsèques nationales dignes. Le Maréchal Mobutu ainsi que tous les corps constitués sont allés s’incliner sur sa tombe au cimetière de la Gombe. Une littérature abondante atteste des analyses pointues menées urbi et orbi par les chroniqueurs musicaux et les historiens de tous les horizons quant à ce.

Un self made man d’un genre particulier

François Luambo vient au monde le 6 juillet 1938 à Sona-Bata, dans la province du Kongo central. Très tôt, son père Joseph Emongo, un cheminot, installe ses pénates à Léopoldville. L’enfant grandit dans un milieu modeste à l’instar de tous les garçons de son âge. Il ne fait pas long feu sur les bancs de l’école, le virus de la musique ayant pris le dessus sur toutes les autres considérations. Son jeune frère Bavon Marie Marie Siongo lui emboîte le pas quelques années plus tard. A un mois de ses 18 ans, le 6 juin 1956, Luambo monte son propre groupe musical dénommé OK Jazz avec le concours du Brazzavillois Essous Jean Serge. C’est le début d’une grande aventure faite des hauts et des bas qui le mènera sur maintes scènes musicales de toutes les provinces du pays et des continents africain, européen, américain et asiatique. Deux écoles distinctes caractérisent l’espace musical RD-congolais. L’une pilotée par le chanteur Joseph Kabasele Tshamala dit Grand Kallé et l’autre par Franco Luambo. Les concurrents directs de ce dernier tels Kallé Jeef, Nico Kassanda wa Mikalayi, Pascal Tabu Ley disposent d’un solide back-ground scolaire. Soit dit en passant, la qualité des enseignements dispensés pendant l’époque coloniale est telle que le bachelier a pratiquement le niveau d’un gradué et apte à œuvrer dans n’importe quel secteur de la vie. En dépit de ce handicap qu’il comblera au fil des années comme self made man, Franco tire largement profit de son registre de talents multiples de guitariste, chanteur, auteur compositeur, pour tailler son chemin dans le roc et voler de ses propres ailes. Il prend le soin de s’entourer des collègues performants et n’hésite à puiser dans le vivier de l’autre école en vue de satisfaire ses mélomanes.

Equipements de pointe et ressources humaines de qualité

A l’orée de la décennie 1970, Luambo Makiadi frappe un grand coup. Il investit dans l’acquisition d’instruments de musique up to date tout en ratissant large avec l’enrôlement progressif des figures de proue dont les ensembles musicaux disparaissent comme des météores. L’OK Jazz prend du muscle avec la présence dans ses rangs des chanteurs Sam Mangwana Mwana Nzoku, Josky Kiambukuta Londa, Pascal Wuta Mayi, Paul Ndombe Opetun, Dalienst Ntesa Nzitani, des guitaristes Michelino Mavatiku Visi, Thierry Mantuiku Kobi, Gégé Mangaya, Gerry Dialungana, Makonko Kindudi, Papa Noël Nedule… Cette armada se joint à la vieille garde constituée de Simaro Lutumba Ndomanueno, Michel Boyibanda, Youlou Mabiala, Dele Pedro, Desoin Bosuma, Isaac Musekiwa, voire l’autre fils-maison Freddy Mayaula Mayoni Trouet. Le mixage de cette pléiade des vedettes crée une forte émulation qui rejaillit sur la qualité de la production. Le nombre des effectifs est si impressionnant que les mélomanes collent à l’OK Jazz l’appellation de l’ONATRA. Les musiciens viennent et repartent au gré des vagues, sans que ce yoyo ne fasse vaciller l’édifice que lequel le géniteur veille comme sur la prunelle de ses yeux.

Complexe 1-2-3 rendez-vous de la jet set

La carrière de Luambo est pleine d’anecdotes, lui qui décide de se lancer dans la construction de grandes infrastructures. L’orchestre ayant pignon sur rue, a besoin d’évoluer dans ses propres installations. D’où la matérialisation du projet du complexe 1-2-3. Lorsque débutent les travaux, certaines mauvaises langues ne lui prédisent pas long feu au regard des modifications intempestives subies. Des rumeurs malveillantes mettent en doute la propriété de cet immeuble. Les noms des membres de certains caciques du régime sont jetés en pâture. Comme la vérité est têtue, cet immeuble tient encore solidement et demeure la propriété exclusive de la famille Luambo. Soit dit en passant, lors de l’inauguration de ce complexe, ce bâtiment domine de la tête et des épaules tous les autres centres récréatifs de Kinshasa. Franco apporte un soin particulier au mobilier et à la décoration. Le bureau situé au dernier niveau comporte des meubles Louis XIV, des tableaux et des bibliothèques dernier cri à faire languir les autorités du pays. Le restaurant, le bar dancing et le club sélect sont d’un grand standing. Il faut regarder par deux fois sa tenue vestimentaire ainsi que sa bourse avant de s’y hasarder. C’est le lieu de rendez-vous de la jet set et des jeunes premiers de la classe moyenne. Luambo tient en haute estime sa clientèle qu’il soigne aux petits oignons. Chaque week-end, la production du TP OK Jazz s’étale de 22 heures à 2 heures du matin. Le patron de l’orchestre se pointe à son bureau à 20 heures. Quel est ce musicien qui peut prendre le risque d’arriver en retard au lieu de production? Cette discipline est de rigueur dans toutes les manifestations agrémentées par cet ensemble musical, Franco tenant mordicus au respect du contrat. Pour revenir à son incursion dans la construction de gros ouvrages, d’autres chantiers engagés demeurent en jachères et n’aboutissent nullement. Tels les immeubles de Kingabwa sur la route des poids lourds et de Sona-Bata, dans le Kongo central, pour des mobiles difficilement soutenables liées, semble-t-il, aux coutumes rétrogrades.

De la prison de Ndolo à la clinique Ngaliema

Sous le régime du Maréchal Mobutu, Franco fera deux fois la prison. Dès la prise du pouvoir par le Lieutenant Général Mobutu, toutes les forces vives s’engagent dans le soutien de nouvelles autorités du pays, en ce compris les musiciens à travers leurs œuvres. Luambo traine les pieds et ne manifeste aucun empressement. Ce qui n’est pas du goût de son ami pensionnaire du Mont Ngaliema. De retour de Brazzaville et surtout de Pointe-Noire où l’OK Jazz a fait tabac, Franco et tous ses musiciens sont cueillis à froid au beach Ngobila et conduits à la prison de Ndolo. Motif, non-respect des instructions relatives à l’obtention d’une autorisation spéciale au départ de Kinshasa pour tout déplacement vers Pointe-Noire. Le lendemain de l’incarcération, Yorgho se fait porter malade et interner à la Clinique Ngaliema. Curieusement, pendant deux jours d’affilée, une voiture avec des vitres teintées vient stationner de 16 heures à 18 heures sans que son conducteur ne daigne en descendre. Le soir, les caciques de l’ABAKO lui rendent visite et lui communiquent le vrai mobile de son emprisonnement: son entêtement à ne pas vouloir accompagner les nouvelles autorités du pays. Le lendemain, dès que la fameuse voiture se pointe, Franco se lève aussitôt pour aller aux nouvelles. Le conducteur fait baisser la vitre et lance à la cantonade: «Franco comment ça va?». Au volant, son ami le Président de la République Joseph-Désiré Mobutu. Dans les heures qui suivent, Luambo quitte la clinique et les choses rentrent dans l’ordre.

Les effets collatéraux des chansons obscènes Hélène et Jackie

En 1978, Yorgho largue sur support audio deux chansons obscènes Hélène et Jackie qui heurtent les bonnes consciences. Zere Makangila qui préside la commission de censure ne peut accepter une telle dérive. Léon Kengo wa Dondo se saisit personnellement du dossier et dépêche les OPJ qui procèdent à l’arrestation de tous les musiciens en séance de répétition chez 1-2-3. Spectacle poignant, Franco est contraint d’auditionner cette bande audio en présence de sa maman et des siens. Deux semaines d’emprisonnement à Makala sur fond d’un battage médiatique sans précédent sur les bonnes mœurs avec le Président Mobutu en pointe. La leçon porte. Si une icône qui annonce les grands thèmes à développer au cours des meetings du Président-fondateur se retrouve au gnouf… Toujours au front, Franco ne baisse pas les bras dans la recherche des équilibres fondamentaux. Il effectue une immersion, en compagnie de Verckys Kiamuangana Mateta, dans la religion musulmane pendant que toute la communauté retient son souffle. La démarche spirituelle d’Aboubacar Siddick ne dure que le temps d’une rose.

Editeur du journal YE

A l’instar de la vedette française de la chanson Claude François avec sa revue Podium, Luambo Makiadi se lance en 1977 dans l’édition du Journal des vedettes YE dont il confie la direction à, son ami Guy Weber Mayo. L’équipe renferme des plumes avisées telles Malambu ma Kizola, Siki Ntetani Mbemba, Ntela Nkanga, Djamba Okito, Oissa Fum’Ukani Iyolela, Mangasa Malo, Mayamba Masika, Bateka Ndo Mingadi, Bitini Munday Sakor, Ntumba Matulu, Fwassa Tombisa, Boyau Loyongo, etc. Ce journal de proximité est le seul organe de presse à ne pas se plier aux injonctions du ministre Dominique Sakombi relatives à la publication obligatoire de l’effigie du Guide à la Une de chaque édition. Des dossiers musclés et des analyses pointues sont publiés sur fond de promotion des valeurs émergentes dans tous les secteurs: sportifs, artistes, opérateurs économiques, acteurs politiques, journalistes, étudiants, etc. Franco participe quelquefois aux réunions de rédaction. Sa perception des problèmes de la société lui permet d’être d’un apport appréciable. Cependant, il laisse la totale indépendance aux journalistes de YE. Le journal bat de l’aile et met la clé sous le paillasson à l’orée de la décennie 1980 suite à des contraintes managériales. Les efforts déployés pour le remettre à flots au départ de l’Europe se terminent en eau de boudin. En 1980, Luambo Makiadi embrasse le mécénat avec la mise en place de la structure promotionnelle Visa-80. Les orchestres Empire Bakuba, Viva la Musica et d’autres jeunes aux talents prometteurs y bénéficient d’un encadrement adéquat et effectuent des voyages sur le vieux continent. Le souci majeur de Yorgho est de léguer à la postérité des structures pérennes à même de servir de rampe de lancement aux jeunes talents dont regorge le pays. Grand sportif, l’AS V.Club lui doit son premier sacre en Coupe du Congo après plusieurs années de diète. La liste serait longue.

YA’KAKESA   

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