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Félix-Kabila: crise préméditée

Alors que le Mouvement de libération du Congo -MLC- a rejeté mardi les décisions de l’interinstitutionnelle portant suspension de l’installation des sénateurs et report de l’élection des gouverneurs, la qualifiant d’organe informel dépourvu de tout pouvoir décisionnel au regard de la Constitution, le flottement s’est installé au sommet de l’Etat pour dénouer la crise entre la coalition CACH-FCC.
A l’évidence, ça coince! C’est le blocage institutionnel! Tout le monde attendait, lundi, une condamnation ferme de la part du Président de la République, Félix Tshisekedi, des actes de barbarie perpétrés samedi 16 mars 2019 par les militants de l’UDPS à Kinshasa et Mbuji-Mayi. Rien de tel. A l’issue de l’interinstitutionnelle, Fatshi s’est contenté d’annoncer, via un communiqué signé de la main de son directeur de cabinet Vital Kamerhe, la lourde décision de la suspension de l’installation des sénateurs, du report sine die de l’élection des gouverneurs et de l’ouverture d’une enquête en procédure de flagrance à l’encontre des présumés corrupteurs et corrompus pour les traduire devant les juridictions compétentes afin que ces derniers subissent la rigueur de la loi.
Le Président de la République a tranché, à la satisfaction d’un seul camp, CACH/UDPS. La décision prise par le Chef de l’Etat est diversement appréciée. Si la lutte contre la corruption et les antivaleurs qui gangrènent la Nation dans tous ses secteurs d’activités est saluée par la majorité de l’opinion tant nationale qu’internationale, par contre les voies empruntées pour y parvenir posent problème.
A l’UDPS, le secrétaire général adjoint et porte-parole du parti, Augustin Kabuya, a applaudi des deux mains. «C’est une décision responsable, que nous saluons, parce que la manière dont les élections des sénateurs avaient suscité des tensions sur toute l’étendue de la République, en toute responsabilité, on ne devrait qu’arriver à cela», a déclaré Kabuya, ajoutant que les résultats de ces scrutins ont démontré comment la corruption s’opère à ciel ouvert en RD-Congo.
Problème: la crise est ouverte. Le verdict du Président de la République, garant de la Constitution et du bon fonctionnement des institutions, n’est pas du goût du FCC, le regroupement politique de son partenaire de l’alternance, Joseph Kabila Kabange. Réuni peu après la rencontre des animateurs des institutions du pays, le Front commun pour le changement -FCC- s’est prononcé contre la suspension de l’installation du Sénat et le report de l’élection des gouverneurs, évoquant la violation de la Constitution… par le Président de la République.
Réaction musclée du PPRD, parti-phare du FCC, qui a appelé les sénateurs à rejoindre le siège de leur institution et mobilisé tous ses militants, toutes ses fédérations provinciales, tous ses candidats aux scrutins des gouverneurs et vice-gouverneurs de province, à ne pas céder aux intimidations, à demeurer résolument engagés pour la victoire de ses candidats aux scrutins du 27 mars 2019.
Condamnant l’usage de la violence à des fins politiques, le PPRD s’en tient donc au calendrier de la CENI, contestant à quiconque et n’importe quel parti politique le pouvoir de «décider unilatéralement du report des scrutins concernant les gouverneurs et les vice-gouverneurs».

Une énorme et flagrante inconstitutionnalité, selon Sam Bokolombe

De l’avis du PPRD, «les allégations de corruption à charge des députés UDPS ne peuvent être prises en compte que si elles sont établies par des voies judiciaires. Il reviendrait à l’UDPS d’en fournir les preuves devant les instances, ce qui pourrait entrainer non pas l’annulation des scrutins mais, tout au plus, la condamnation des personnes à charge desquelles l’infraction de corruption serait établie».
C’est à l’image de ce qui se passe présentement à l’Assemblée nationale dont les travaux se poursuivent pendant que les dossiers de plusieurs députés élus sont pendants à la Cour constitutionnelle. Le moment venu, les décisions de cette instance seront prises en compte pour la confirmation ou l’invalidation des intéressés.
Dans le bras de fer ci-évoqué, le FCC bénéficie de l’appui objectif, pas politique, d’une autre grosse écurie, le MLC. Dans un communiqué publié mardi portant la signature de Fidèle Babala, le parti bembiste dit noter «avec sidération l’amalgame et l’amateurisme qui ont tendance à élire domicile au sommet de l’Etat», soutenant, lui aussi, que «les questions internes à un parti politique ne peuvent impacter la vie d’une nation».
Selon le MLC, «en plus d’être otage d’un accord sous seing privé, Mr Félix Tshisekedi ne fait preuve d’aucune capacité à établir un départ entre la gestion de l’Etat et ses intérêts privés tant familiaux que partisans».
Ce malaise n’a pas laissé indifférent le député Ensemble Sam Bokolombe Batuli. L’élu de Basankusu a évoqué, pour sa part, «une énorme et flagrante inconstitutionnalité», conseillant au Président Fatshi «de faire proprement les choses conformément à la Constitution, en respectant, bon gré mal gré, les attributions de chaque institution». En laissant notamment la CENI poursuivre le processus électoral et les Cours et Tribunaux mener les enquêtes et d’éventuelles poursuites judiciaires des suspects pour corruption. Sinon, prévient Bokolombe, «l’on s’engage sur une pente glissante, celle de haute trahison pour tentative de coup d’Etat».
Fatshi se ressaisirait-il ainsi que le suggère ce professeur de droit? Il appartient à ceux qui soufflent à l’oreille du Chef de l’Etat de lui communiquer les bonnes informations ainsi que les pistes idoines de solution de manière à atteindre les objectifs fixés sans pour autant mettre le feu dans la baraque. La question posée vaut son pesant d’or pendant qu’au CACH et au FCC, chacun bataille ferme pour défendre sa position. Des sources dignes de foi au Palais de la Nation, AfricaNews a appris qu’il existait déjà un projet visant à annuler ou suspendre les résultats des sénatoriales et l’élection des gouverneurs. La première explication à cette thèse de crise préméditée plonge ses racines dans l’attitude du Palais de la Nation face à la dérive des militants de l’UDPS jamais condamnés ni punis après leurs excès du week-end dernier.
La deuxième explication est tirée de la tentation de se passer de l’élection des gouverneurs en nommant les commissaires spéciaux. La proposition venue du patriarche Nsinga Udjuu aurait séduit certains dans l’entourage du chef de l’État.
L’autre explication est que le Président Fatshi se sentirait pousser les ailes depuis que les USA lui ont promis leur soutien et après les promesses de collaboration de Macron au cas où il parviendrait à prendre ses distances de Kabila, comme l’Angolais Joao Lourenço l’a fait avec Dos Santos. Fatshi prendrait-il d’emblée un tel risque, lui qui n’a que deux mois au pouvoir et qui, contrairement à Lourenço issu des rangs du MPLA et homme du sérail, n’a pas encore la maitrise de tous les leviers du pouvoir tout en étant tenu par les termes du deal qui le lie à Kabila? Après tout, tout accord a ses avantages et ses contraintes.

AKM

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