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2018: forces et faiblesses des jokers

Entre tous les candidats issus de la Majorité ou de l’Opposition actuelle ou encore de leurs alliés respectifs, la victoire à la présidentielle reviendra à celui qui disposera d’un noyau régional ou géostratégique et bénéficiera du soutien des autres, susceptibles de lui permettre de glaner des voix en dehors de son fief naturel. Un pari que seuls peuvent prendre ceux qui passent pour les jokers parmi les 26 dont les dossiers ont été transmis à la CENI: Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila Kabange, doté d’importants moyens financiers, logistiques et humains; trois anciens Premiers ministres, notamment Antoine Gizenga Fundji, Adolphe Muzito Mfumu Nsi et Samy Badibanga Ntita; un ancien speaker de l’Assemblée nationale et candidat défait en 2011, Vital Kamerhe Luakanyingini, et un ancien vice-Président de la République, Jean-Pierre Bemba Gombo. Une évidence: pour prétendre remporter cette bataille, le candidat doit remplir à la fois la condition nécessaire, c’est-à-dire, disposer d’un noyau dur, d’une base électorale propre, qu’elle soit régionale ou géostratégique. Et la condition suffisante: avoir le soutien des autres personnalités ou d’autres regroupements politiques pour espérer glaner des voix au-delà de son fief naturel. Projections.
 
Shadary face à Kamerhe dans l’Est du pays
C’est l’homme sur qui Joseph Kabila Kabange a porté son choix. Il est le dauphin tant attendu. Ancien administrateur de territoire, ancien gouverneur du Maniema, puis ancien vice-Premier ministre de l’Intérieur et Sécurité,  Emmanuel Ramazani Shadary est élu deux fois député national dans la circonscription électorale de Kabambare en 2006 et 2011. Le Maniema constitue sa base électorale naturelle. Mais Shadary qui bénéficie du soutien des cadres du Front commun pour le Congo -FCC- nourrit l’ambition d’obtenir des voix dans d’autres provinces du pays, notamment dans l’Est où il aura à affronter Vital Kamerhe. Shadary vient de marquer de sa présence dans un passé aux cendres encore chaudes les autres provinces du pays lors de sa tournée de redynamisation du PPRD à la base avec la restructuration intervenue au niveau des statuts. Au-delà de la caution de l’autorité morale Kabila, le soutien de Matata Ponyo, ancien Premier ministre qui a créé une université moderne au Maniema, devrait lui être acquis pendant que Modeste Bahati, un moment pressenti favori dans la course au dauphinat, lui a garanti son appui et donc celui du Sud-Kivu dont il est l’un des poids lourds. Autant pour l’ex-Katanga dont la côte d’amour pour Moïse Katumbi Chapwe, jusqu’ici empêché de revenir au pays pour déposer sa candidature, n’est plus à démontrer. Dans l’ex-province cuprifère, les cadres comme le gouverneur de Lualaba, Richard Muyej Mangez Mans, le VPM de l’Intérieur Henri Mova Sakany, le ministre Félix Kabange Numbi et les autres constituent une machine électorale et une solide rampe de lancement pour le candidat Shadary.
Dans le grand Kasaï, il peut compter également sur Evariste Boshab Mabudj, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien VPM de l’Intérieur, le gouverneur du Kasaï Oriental Ngoyi Kasanji et Denis Kambayi, gouverneur du Kasaï Central. Mais ici, l’Opposition a le vent en poupe avec l’activisme des hommes d’Etat comme le député national élu de Kananga, Claudel André Lubaya, président de l’Union démocratique africaine originelle -UDAO- et de la plateforme électorale Alliance des mouvements du Kongo -AMK- prêt à mouiller sa chemise pour le candidat de l’Opposition à la présidentielle, faute de voir Moise Katumbi prendre la course. Shadary a un parcours politique modeste, une base et une machine électorale, mais aussi un morceau dur, le bilan à défendre de 17 ans au pouvoir de Joseph Kabila.
Revoici Vital Kamerhe
Candidat malheureux en 2011, Vital Kamerhe Luakanyingini aura aussi son mot à dire lors de ce scrutin. Il passe pour l’unique prétendant sérieux issu de l’Opposition à l’Est du pays, capable de jouer un rôle de premier plan lors de ce scrutin. Ancien président de l’Assemblée nationale, Kamerhe saisit cette heureuse opportunité pour se faire un nom à travers le pays. Sa notoriété est renforcée avec sa participation à l’élection présidentielle en 2011. Classé 3ème avec 5%, dont 3% engrangés dans les Kivu, son fief, il peut rêver d’améliorer sensiblement ses performances dans cette partie orientale du pays parce que, sans Kabila, il pourra poser des problèmes de taille à Shadary. Une tâche loin d’être aisée avec non seulement les accusations de taupe de la Majorité présidentielle qui le collent à la peau mais également la présence de Félix Tshilombo Tshisekedi comme candidat de l’UDPS qui entend glaner des voix significatives dans l’Est du pays.
Ancien secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie -PPRD-, Kamerhe devient le directeur de campagne du Président Joseph Kabila lors des élections de 2006, avant de tomber en disgrâce en 2009. En décembre 2010, il lance son propre parti politique, l’Union pour la nation congolaise -UNC-  qui le désigne candidat à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011, puis du 23 décembre prochain. Fort des leçons tirées de la présidentielle de 2006, Kamerhe est déterminé à peser de tout son poids sur l’issue du scrutin.
Jean Pierre Bemba veut encore tenter sa chance
Au premier tour de l’élection présidentielle en 2006, Jean Pierre Bemba Gombo termine en deuxième position. A ce titre, il affronte Joseph Kabila classé en tête au premier tour. Au second tour, Bemba effectue une spectaculaire remontada et arrive en tête à Kinshasa, dans l’Équateur, dans le Bas-Congo, dans le Bandundu et dans les deux Kasaï. Cependant, au niveau national, il n’obtient que 42% des suffrages exprimés. Il introduit plusieurs recours auprès de la Cour suprême de Justice, mais il n’obtient pas gain de cause. Il est également élu sénateur lors des élections sénatoriales du 19 janvier 2007. Bemba bénéficie des voix des militants de l’UDPS, Etienne Tshisekedi ayant boycotté les élections. En 2011, Bemba ne peut concourir car écroué à la Cour pénale internationale -CPI. Voici qu’en 2018, sa relaxation spectaculaire est susceptible de brouiller toutes les cartes. Son retour au pays prend les allures d’une véritable démonstration des forces. Et revoici Bemba candidat. Automatiquement son électorat lui revient. Mais, cette fois-ci, le boss du MLC est en compétition avec plus ou moins six candidats originaires de l’Ouest dont le Premier ministre honoraire issu des rangs du PALU, Adolphe Muzito.
Adolphe Muzito contre son ex-mentor
A l’Ouest du pays, Adolphe Muzito Mfumu Nsi et Martin Fayulu Madidi se portent candidats pour le compte de l’Opposition sans oublier Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir. Disciple d’Antoine Gizenga Fundji, Adolphe Muzito a le soutien de la base du PALU même si la candidature de Gizenga a été déposée à la toute dernière minute à la CENI par son fils Lugi Gizenga. Agé de 93 ans, Gizenga est mis hors-jeu par la force de l’âge comme il l’avait lui-même dit en 2008 lorsqu’il a démissionné comme Premier ministre. Son remplaçant à la Primature, Muzito a le mérite d’avoir permis à la RD-Congo d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE. L’effacement de la dette du pays est à son actif tout comme le renouement des relations d’affaires avec les institutions financières internationales, dont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, ainsi que la révision à la hausse des salaires des fonctionnaires et l’amorce de grands travaux de reconstruction. A travers ses tribunes dans la presse et son programme d’université populaire, Muzito attire les masses oubliées, particulièrement la jeunesse et a pu séduire de nouveaux partenaires avec lesquels il anime la plateforme Nouvel élan et certains courants au sein de l’Opposition. Une éventuelle alliance avec l’UDPS, l’UNC et le MLC ferait de lui une carte redoutable.
Seulement, il risque d’être gêné par six autres candidats originaires de l’ex-grand Bandundu positionnés sur la ligne de départ de la présidentielle de décembre 2018. Il s’agit d’Antoine Gizenga, Martin Fayulu, Freddy Matungulu, Mabaya Gizi, Laure-Marie Kawanda et Kin-Kiey Mulumba. Quand on sait qu’en RD-Congo et au-delà des frontières continentales, le vote est tributaire des choix tribaux, claniques ou autres affinités familiales. Kin-kiey, encouragé par les performances électorales à travers le monde des personnalités issues de la 3ème voie, croit pouvoir naturellement rafler tous les suffrages des Mbala de Masimanimba et Bulungu ainsi que leurs diasporas kinoises. Il est fort probable que l’électorat de Bandundu ne soit sérieusement écartelé et ne puisse au finish nullement bénéficier de manière substantielle aux fils du terroir. Encore faut-il que les «Nguashi» puissent accorder leurs violons et jouer la même partition.
Avec les candidatures de grosses pointures ci-haut citées auxquelles se greffe celle de Jean Pierre Bemba Gombo, les observateurs notent que le bloc Ouest du pays est quadrillé en faveur de l’Opposition notamment l’ex-Equateur, l’ex-Bandundu, Kinshasa et le Kongo central. Les choses seront claires si l’Opposition fédérait.
Samy Badibanga Ntita et Félix Tshsekedi s’affrontent au Centre
Le centre du pays a été toujours hostile au pouvoir en place et proche de l’Opposition. Le grand Kasaï ayant éclaté en 5 provinces, l’ex-Kasaï Oriental a donné naissance au Kasaï Oriental, au Sankuru et au Lomami tandis que l’ex-Kasaï Occidental a laissé éclore le Kasaï Central et le Kasaï. C’est ici qu’Etienne Tshisekedi a eu beaucoup de voix en 2011, puis à l’Ouest.
Deux fils du Kasaï Oriental s’y mesurent, notamment Félix Tshilombo Tshisekedi et Samy Badibanga Ntita, le premier du territoire de Kabeya Kamuanga et le second de Katanda. Si Félix Tshisekedi peut prétendre faire le plein des voix au centre, Samy Badibanga n’entend nullement y faire figure de parent pauvre d’autant plus qu’il entend engranger la sympathie subséquente aux gros investissements consentis par son père, opérateur économique, dans l’ex-Kasaï Oriental et dans l’ex-Kasaï Occidental.
Elu député national dans la circonscription électorale de Mont-Amba à Kinshasa en 2011, Samy Badibanga est nommé de 2009 à 2011, conseiller spécial d’Étienne Tshisekedi chargé de la stratégie diplomatique. Ce qui comprend communication, image, organisation et direction de sa campagne pour la présidentielle de 2011. Une élection présidentielle très critiquée et dont les résultats sont largement mis en doute par l’UDPS, accusant le pouvoir de fraudes, d’arrestations arbitraires, de manipulations et même de violences répressives.
En 2015, Samy Badibanga et Félix Tshilombo négocient à l’abri des regards à Ibiza, en Italie et sur l’Ile de Gorée, au Sénégal, avec le régime Kabila pour la tenue du dialogue. Tshisekedi en annonce la tenue imminente. Ce que rejettent vivement le MLC et l’UNC.
Samy Badibanga Ntita est propulsé au poste de Premier ministre dans le cadre de l’Accord du 18 octobre 2016 issu du dialogue de la Cité de l’Union africaine facilité par l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Pendant cinq mois, il est aux commandes de l’Exécutif après avoir contribué à épargner le pays d’un nouveau cycle de violences. Les chiffres réalisés sous court mandat sur le plan des finances publiques et le début de financement du processus électoral actuel compteront parmi ses arguments de campagne.
Quant à Félix Tshilombo Tshisekedi, il rejoint les rangs de l’Union pour la démocratie et le progrès social -UDPS- très jeune pour militer et exerce plus tard différentes fonctions comme cadre du parti. Fin 2008, Félix Tshisekedi est nommé secrétaire national chargé de l’extérieur à l’UDPS, parti dirigé par son père. Elu député à Mbuji-Mayi en novembre 2011, il refuse de siéger au Parlement répondant au mot d’ordre de Tshisekedi père. Sa nomination au poste de secrétaire général adjoint de l’UDPS tombe à propos en novembre 2016. Après la mort du Sphinx de Limete à Bruxelles, le congrès de l’UDPS tenu à Kinshasa fin mars 2018, élit Félix Tshisekedi à la présidence de la fille aînée de l’Opposition. Il est aussi choisi candidat du parti pour la prochaine élection présidentielle, prévue pour décembre 2018.
Félix compte sur l’électorat de son défunt père à travers le pays, dont le grand Kasaï, le Kivu, la ville de Kinshasa, l’ex-Equateur et le Kongo central pour se faire élire. Il n’a pas un bilan politique à présenter, car il n’a jamais géré les institutions publiques. Sa virginité politique est un atout mais aussi un handicap pour son élection. Un atout parce qu’il se prévaut d’avoir les mains propres. Un handicap parce qu’il n’a pas d’expérience de gestion des affaires publiques.
L’accès au prestigieux fauteuil présidentiel est très incertain en RD-Congo. En attendant la publication de la liste officielle, 26 candidats sont en lice dont 6 en situation litigieuse avec la Commission électorale nationale indépendante -CENI. Au Congo, le vote est avant tout un problème tribal. Chaque tribu s’identifie à son candidat. C’est le défaut dont la RD-Congo a hérité de la période coloniale. De ce point de vue, la stratégie zone linguistique joue beaucoup dans le choix électoral.
Mais, à la lumière de l’exécution de l’accord Kabila-Gizenga-Nzanga en 2006, les prochains deals doivent être clairs, fondés sur le long terme, avec des gages que l’un devrait laisser telle échéance à l’autre et vice-versa. Tout devra donc reposer sur la loyauté, la confiance et le respect des engagements. Reste à chaque probable candidat une organisation solide pour la mise en place d’une stratégie de conquête du pouvoir. Le rapprochement Bemba-Kamerhe-Muzito -Tshisekedi- pourrait permettre à l’Opposition de faire face au candidat du FCC. «Aller en ordre dispersé pour l’Opposition, c’est donner la chance au candidat du pouvoir d’être élu», notent les observateurs.
Achille KADIMA MULAMBA
Octave MUKENDI

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